Impacts technologique et biologique du rayonnement cosmique

Les radiations énergétiques affectent l’électronique et d’autres équipements technologiques exposés, tout autant que les cellules d’êtres vivants. Le terme radiation inclut ici aussi bien les ondes électromagnétiques (des photons) que les particules neutres (des neutrons) et électriquement chargées (des électrons, protons, ions d’He, aussi appelés des particules alpha, des ions des autres éléments chimiques que nous appellerons dans la suite des ions lourds). L’interaction avec les radiations peut modifier la composition chimique de l’atmosphère. L’ionisation est particulièrement importante pour l’aviation, parce qu’elle détermine les conditions de propagation des ondes électromagnétiques. Le flux continu du rayonnement cosmique venant de l’extérieur du système solaire et les flux transitoires produits par le Soleil affectent donc la technologie et la vie non protégées par l’atmosphère et le champ magnétique de la Terre. La variation des conditions de cette météorologie de l’espace engendre différents types de dommages par les radiations.

On peut distinguer deux populations de particules dans notre environnement radiatif spatial naturel : les particules piégées dans les ceintures de radiation des magnétosphères planétaires et des populations de particules extra-planétaires comprenant des électrons, protons et ions lourds de tous les éléments du tableau de Mendeleïev. La composante extra-planétaire comprend les rayons cosmiques galactiques (GCR, pour galactic cosmic rays) et des particules énergétiques d’origine solaire (SEP, pour solar energetic particles), associées avec des éruptions solaires et éjections coronales de masse (CMEs, pour coronal mass ejections). On discutera dans la suite de leur impact sur la technologie et les êtres vivants. La dernière partie du texte donne un aperçu de modèles numériques disponibles pour calculer les flux de particules et du rôle des moniteurs à neutrons dans la surveillance et la prévision des radiations.

L’impact technologique

Des particules énergétiques peuvent endommager l’équipement de vaisseaux spatiaux, et même d’avions, et ceci essentiellement de trois manières:

  • Les particules énergétiques ionisent les atomes et les déplacent dans leur réseau cristallin. C’est ainsi que les panneaux solaires opérant en dehors de l’atmosphère de la Terre perdent leur performance à la suite d’effets cumulatifs des particules énergétiques. Un grand événement à particules solaires peut, pendant quelques jours, user les panneaux autant que toute une année d’exposition aux rayons cosmiques galactiques. L’ionisation est souvent le mécanisme dominant dans la dégradation des performances de l’électronique à bord. Mais les propriétés mécaniques et d’isolation d’un matériau comme le téflon ou la peinture utilisée pour la régulation thermique peuvent aussi être altérées par des niveaux élevés d’irradiation. Tous ces effets réduisent le temps de vie des équipements.
  • Les dommages appelés single event effects (SEE) sont produits par une seule particule ionisante qui traverse un dispositif micro-électronique. La création d’une paire électron-trou par l’impact d’une particule peut interrompre la réponse habituelle des circuits électroniques. Les effets appelés single event upsets (SEU) sont produits en particulier par des ions lourds du rayonnement cosmique primaire ou des secondaires engendrés dans l’atmosphère par un proton primaire de haute énergie. Ils peuvent générer des commandes erronées dans les ordinateurs à bord. Les latch-ups sont des états anormaux de dispositifs électroniques qui ne répondent alors plus aux signaux d’entrée. Les pires cas de SEEs sont appelés burn outs. Ce sont des dommages permanents et irréversibles des circuits électroniques par des courants électriques parasites. La miniaturisation des technologies augmente leur vulnérabilité, puisque des charges individuelles peuvent déposer assez d’énergie pour générer un SEE.
  • Les électrons énergétiques peuvent également créer divers types de dommages en pénétrant dans le vaisseau spatial et en y déposant leurs énergie et charge électrique. Cela peut conduire à une décharge qui interfère avec les instruments et détecteurs, faussant la lecture des instruments et accélérant l’érosion des matériaux. La profondeur de pénétration et la région où les problèmes sont créés dépendent de l’énergie de la particule.

Une grande partie des actions contre de tels événements repose sur la facture des matériaux et dispositifs. Ils doivent être rendus résistants contre les divers types de dommages par les particules. Le degré de perfection requis dépend de l’évolution à long terme (pendant la période de l’emploi du dispositif) de l’intensité des particules et du nombre d’événements solaires, donc de la phase du cycle solaire. La prévision fiable du cycle solaire pourrait donc aider à la spécification des besoins pour les satellites.

Comme la météorologie de l’espace varie aussi à plus court terme, en particulier les flux des particules, il y a des périodes interdites pour certaines opérations : il faut par exemple éviter de lancer des fusées ou de manoeuvrer des véhicules spatiaux lors d’un fort événement solaire à particules, notamment lorsque les opérations ont lieu sur les orbites passant par les régions polaires.

L’opération des avions sur des routes polaires est également affectée par les particules énergétiques et les secondaires qu’elles créent dans l’atmosphère de la Terre. En effet, ces particules modifient l’état de l’atmosphère, en particulier de l’atmosphère polaire, moins protégée par le champ magnétique de la Terre. Les nombreux protons avec des énergies modérées qui peuvent pénétrer à des altitudes assez basses de 50-70 km au-dessus du niveau de la mer, ionisent l’ionosphère polaire. On appelle cet effet créé par les particules énergétiques solaire polar cap absorption (PCA), parce que l’ionisation accrue amplifie l’absorption des ondes électromagnétiques de basses fréquences, utilisées notamment pour la communication avec les avions. Pendant des événements à particules majeurs, des avions civils ont été déroutés vers de plus basses altitudes dans le passé (par exemple en Janvier 2005) afin de rétablir leur capacité de communiquer avec les stations de contrôle.

La magnétosphère de la Terre n’agit pas toujours comme un bouclier – elle peut aussi constituer un danger. En effet, le vent solaire fournit en permanence de l’énergie à ce système. Elle est libérée lors d’événements explosifs, appelés des sous-orages magnétosphèriques. Les flux accrus d’électrons énergétiques qui sont générés durant ces événements à l’intérieur de la Magnétosphère chargent électriquement les sondes spatiales, par exemple les satellites de communication. De tels événements ont lieu régulièrement, dans des conditions de Soleil calme, lorsque des vents solaires rapides provenant des trous coronaux sont des agents particulièrement efficaces de transfert d’énergie à la magnétosphère de la Terre.

L’impact biologique

Les particules énergétiques constituent un risque pour la santé, parce qu’elles peuvent endommager les cellules : lorsqu’une particule énergétique frappe une cellule, elle y dépose une partie de son énergie en interagissant avec les électrons des molécules de la cellule. Les conséquences pour la cellule dépendent de l’espèce et de l’énergie de la particule incidente (proton, ion, électron, neutron, photon). Les dommages causés aux molécules, en particulier à la DNA, peuvent avoir des conséquences pour son avenir, sa capacité de se diviser et de maintenir sa structure. Les dysfonctionnements éventuels de la cellule peuvent affecter les tissus et organes.

  • Une cellule endommagée tentera de se réparer elle-même. Si la tentative échoue, la cellule mourra. Si trop de cellules meurent, l’organe peut cesser de fonctionner correctement.
  • D’autre part, si la réparation est incomplète, la cellule peut encore se diviser quelques fois, éventuellement en transférant les dommages résiduels aux cellules filles. Les dysfonctionnements d’un nombre trop important de cellules filles peuvent de nouveau causer des dommages majeurs ou même définitifs à l’organe. Des cellules endommagées survivantes peuvent aussi devenir les précurseurs de cellules de cancer.

Les menaces du rayonnement cosmique pour les êtres vivants sont de deux types:

  • Des doses élevées d’irradiation sont un danger immédiat pour la santé et même la vie. Des doses élevées de rayons cosmiques peuvent notamment menacer les vols habités en dehors de la magnétosphère de la Terre. Pour cette raison, les événements solaires à particules sont reconnus comme un danger majeur pour les vols vers la Lune et la planète Mars. Le grand événement solaire qui avait lieu le 4 Août 1972, à l’époque des vols Apollo vers la Lune, aurait sans doute eu des conséquences mortelles si un vol avait été en cours à ce moment-là. La sécurité des astronautes est donc un problème majeur dans le planning des futurs vols spatiaux habités.
  • Les faibles doses d’irradiation n’ont pas de conséquence qui se remarque immédiatement. Mais ils peuvent constituer un risque à plus long terme. Les équipages des missions spatiales sont dans cette situation-là. Les équipages d’avions aussi, s’ils traversent de façon répétée les régions de l’atmosphère terrestre qui sont exposées aux irradiations accrues, en premier lieu les régions à haute latitude.

Cette carte montre les doses d’irradiation mesurées à bord de la station spatiale russe MIR par l’expérience Nausicaa de l’agence spatiale Française CNES lors d’une période d’exposition à un niveau accru de radiation, produit par un événement solaire en Octobre 1989. Le diamètre des cercles mesure la dose d’irradiation. L’orbite de MIR avait une altitude de 420 km et une inclinaison de 51° par rapport à l’équateur de la Terre. La station traversait donc les régions proches des pôles magnétiques de la Terre au-dessus du Canada et de l’Océan Pacifique au sud de l’Australie. Les doses d’irradiation dans ces régions dépassent clairement celles reçues ailleurs, comme le montrent les tailles des cercles. La seule exception est la région de faible champ magnétique au-dessus de l’Océan Atlantique Sud. Les doses accrues dans cette région-là ne sont pas produites par les particules solaires, mais par des particules qui circulent dans le champ magnétique de la Terre.

Doses d’irradiation dues aux rayons cosmiques

L’effet biologique de l’exposition à la radiation dépend de la quantité d’énergie absorbée par le tissu, qui augmente avec le flux de particules. L’effet dépend aussi de l’espèce de particules, de leur énergie individuelle et de l’organe irradié. Les rayons X, par exemple, déposent leur énergie d’une façon plus ou moins uniforme dans un volume donné, tandis que les neutrons le font de façon plus localisée, selon le type de réaction nucléaire dans les tissus. Les neutrons ont une plus grande capacité à engendrer des lésions que des protons ou électrons de haute énergie et des rayons gamma.

L’effet de l’irradiation reçue par le personnel à bord de stations spatiales et d’avions passe par l’accumulation de faibles doses. L’unité de mesure de cet effet cumulatif est le Sievert (Rolf Sievert, physicien Suédois, 1896-1966). Le Sievert (abréviation : Sv) mesure la somme des doses d’irradiation absorbées par les différents organes d’un être humain. Les doses sont pondérées (1) par l’espèce de particules (les particules alpha et noyaux atomiques lourds ont les poids les plus élevés, suivies des neutrons, des protons et finalement les photons et électrons); (2) par l’organe exposé, afin de tenir compte de sa sensibilité aux radiations ionisantes.

Citons quelques exemples de doses d’irradiation:

  • La dose due à la radioactivité naturelle ambiante au niveau de la Terre est en moyenne de 2,4 mSv (mSv = milli Sievert) en un an, avec des différences majeures entre différentes régions en fonction de la nature du sol. Au niveau de la mer, la contribution des rayons cosmiques est d’environ 0,3 mSv.
  • Les doses d’irradiation reçues par une radiographie médicale varient, selon le type, de 0,1 à quelques dizaines de mSv.
  • Les doses typiques reçues lors d’un vol transatlantique (Europe-Amérique du Nord) est de 0,05 mSv en ce qui concerne les rayons cosmiques galactiques. Cette dose peut être bien plus élevée lors d’un événement à particules solaire, où des augmentations allant jusqu’à un facteur 10 ont été estimées en cas d’exposition maximale. Il faut toutefois noter que de tels événements sont très rares et brefs, et qu’ils ne changent pas fondamentalement la dose annuelle reçue par les équipages d’avions et les voyageurs fréquents. Ces personnes peuvent accumuler des doses de quelques mSv en un an.
  • Les compagnies d’aviation en Europe sont obligées de vérifier que les membres de leurs équipages ne reçoivent pas une dose cumulée supérieure à 100 mSv sur 5 ans, avec un maximum de 50 mSv pendant une année donnée. Puisque l’embryon est plus fortement exposé, les femmes enceintes membres d’équipage ne doivent pas recevoir des doses supérieures à 1 mSv pendant leur grossesse.
  • Les doses maximales mesurées par l’expérience Nausicaa à bord de la station spatiale MIR, indiquées par les cercles les plus grands dans la carte ci-dessus, sont de 2 mSv/h.
  • Un vol spatial vers la planète Mars donnera lieu à une dose d’irradiation d’environ 1 Sv, engendrée par les seuls rayons cosmiques galactiques. Les doses produites par des événements à particules solaires importants s’y ajouteraient. Elles peuvent être bien plus élevées et d’un danger mortel immédiat si une protection adéquate n’est pas disponible.

On note que le Sievert décrit le risque dû à l’exposition à des niveaux faibles de radiation (effets stochastiques), dont la nocivité provient de l’effet cumulatif sur de longues durées. Pour de fortes doses, le danger est immédiat et non pas cumulatif. Cela n’a pas de sens de parler de doses supérieures à 1 Sv.

Pour plus d’information (dead link)

Modélisation, surveillance, prévision des flux de particules dans l’atmosphère terrestre

Codes numériques

L’analyse de l’environnement spatial complexe de la Terre et de son impact sur la technologie embarquée ont conduit différents organismes à développer, souvent de façon indépendante, des modèles empiriques ou quasi-empiriques. En ce qui concerne le rayonnement cosmique, le mieux connu est le modèle Cosmic Ray Effects on Micro-Electronics (CREME) développé par la NASA. Il est aussi disponible par le portail Space Environment Information System (SPENVIS), développé par l’ESA. L’entrée passe dans les deux cas par une interface web.

Un modèle du rayonnement cosmique galactique prédit des spectres du flux des noyaux correspondant à tous les éléments du tableau de Mendeleïev, de l’hydrogène à l’uranium, pour des énergies allant de 1 à 10,000 MeV/nucléon. Le spectre de flux en fonction de l’énergie est converti en un spectre du transfert d’énergie linéique (TEL). Le TEL est un paramètre crucial pour la description du niveau d’impact des événements de l’environnement spatial sur la micro-électronique. Ce paramètre est aussi un pas important dans le calcul des SEUs.

La figure ci-contre illustre l’utilité des spectres de TEL, obtenus via l’interface SPENVIS, pour la caractérisation de l’environnement spatial et le calcul des taux d’événements de type SEU. La cible est un vaisseau spatial en orbite géostationnaire entre le 14 et le 18 Juillet 2005. Plusieurs cas sont considérés : les rayons cosmiques galactiques (GCR; M=1), un niveau 90 % du pire cas (M=3), une combinaison de rayons cosmiques galactiques et d’une composante anormale une fois ionisée (M=4), un événement à particules solaire avec (M=5) un flux et une composition moyens, (M=6) un flux moyen et une composition de type pire cas, (M=7) un flux 10% de pire cas avec une composition moyenne, (M=12) un flux et une composition de type pire cas pour les deux.

Surveillance et prévision des flux de particules utilisant les moniteurs à neutrons

Les données des moniteurs à neutrons sont des éléments clefs dans la surveillance et la prévision des radiations extra-planétaires:

  • Ils peuvent fournir des alarmes utiles avec une avance entre quelques minutes et quelques dizaines de minutes sur l’arrivée massive, près de la Terre, des particules aux plus basses énergies – entre une dizaine et quelques centaines de MeV. Ceci requiert des données à haute résolution temporelle en temps réel d’un réseau de stations.
  • Les données des moniteurs à neutrons permettent de calculer les flux de particules de l’environnement spatial et à différentes altitudes dans l’atmosphère de la Terre. Elles contiennent aussi des informations fondamentales sur l’interaction des rayons cosmiques galactiques avec les plasmas et champs magnétiques de l’Héliosphère. Les mesures des rayons cosmiques à la Terre peuvent donc transporter à grande vitesse de l’information sur l’approche d’une perturbation interplanétaire. L’opération des moniteurs à neutrons, à l’inverse de celle des satellites, n’est pas affectée par ces événements.

Selon une directive Européenne de 1996, traduite dans les lois des pays membres, l’exposition aux radiations de chaque membre du personnel de l’aviation civile doit être surveillée, comme celle des personnels travaillant dans des centrales nucléaires ou avec des équipements de radiographie dans le hôpitaux. Les moniteurs à neutrons fournissent les données fondamentales pour la mesure du flux des rayons cosmiques, qui sont ensuite transformées, à l’aide de modèles empiriques, en doses d’irradiation sur un réseau de points couvrant différents niveaux d’altitudes de l’atmosphère sur tout le globe terrestre.


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