Rayons cosmiques solaires, éruptions, éjectons coronales de masse

Quand on regarde son émission globale, dominée par la lumière de la photosphère, le Soleil est une étoile calme. Mais il révèle une activité intense détectable dans les émissions de la couronne, en particulier les rayons X, ultra violet extrême (EUV) et ondes radioélectriques. La couronne est le gaz dilué que nous voyons entourer le Soleil lors d’une éclipse. Tout comme ses structures, son activité est déterminée par les champs magnétiques.

La conversion explosive d’énergie lors des événements éruptifs solaires crée du plasma chaud et des particules accélérées à des énergies bien au-dessus de l'énergie thermique moyenne dans la couronne, qui vaut environ 100 eV. Certains de ces événements éruptifs accélèrent des particules à de très hautes énergies: les rayons cosmiques solaires. Ce sont des événements rares : on n'en a observé que 70 entre leur découverte en 1942 et l’année 2009.

La couronne solaire: un milieu dynamique structuré par des champs magnétiques

Un cliché d’éclipse solaire (ici: 26 Février 1998, Guadeloupe; © Christian Viladrich, SAF http://www2.saf-lastronomie.com/accueil.html) met en évidence la forme irrégulière de la couronne. C’est très différent de la couche visible du Soleil, sa photophère. La photosphère est sphérique parce qu’elle est dominée par la gravitation. La gravitation attire toute particule vers le centre de la concentration de masse. Pour cette raison elle engendre des corps sphériques comme les planètes, la Lune et le corps du Soleil même. Mais la couronne est un gaz chaud, à une température de 1 million de degrés. Les particules constituant ce gaz sont électriquement chargées : des électrons, protons, noyaux d’hélium et d’éléments chimiques plus lourds. Hormis par la gravitation, ce gaz est structuré par des champs magnétiques qui sont ancrés à l’intérieur du Soleil.

Structuration magnétique de la couronne

La structuration magnétique de la couronne ressemble à l’expérience bien connue par laquelle nous apprenons à l’école que des lignes de force (ou lignes de champ) connectent les deux pôles d’un aimant: prenez un aimant, posez une feuille de papier dessus et saupoudrez de la limaille de fer sur le papier. Les minuscules morceaux de fer s’alignent le long des lignes de force et les rendent ainsi visibles, comme dans la figure ci-contre.

Quelle relation avec la couronne solaire ?

Regardons la couronne autrement que lors d’une éclipse, en utilisant de l’émission provenant du gaz coronal chaud. Le cliché de droite montre un détail de la couronne en ultra violet extrême (EUV), émis par du fer gazeux à environ 1 million de degrés (cliché: Transition Region and Coronal Explorer satellite, TRACE; NASA). La photosphère, qui émet la quasi-totalité des émissions visible et infra rouge du Soleil, est sombre dans ce cliché, puisqu’à une température d’environ 6000° elle n’est pas assez chaude pour l’émission en EUV. Les ions émetteurs sont piégés dans des structures du champ magnétique : tout comme la limaille de fer, que le champ magnétique force à s’aligner le long des lignes de force, les particules chargées ne peuvent que se mouvoir le long des lignes de force, pas en direction orthogonale. C’est pourquoi nous « voyons » les lignes de force là où elles renferment de la matière – tout comme nous « voyons » les lignes de force d’un aimant à l’aide de la limaille de fer. Les lignes de force magnétique structurant la couronne sont ancrées dans le corps du Soleil.

Le Soleil dynamique

Il y a toutefois une grande différence entre un aimant et le Soleil : l’aimant est une configuration statique, et les lignes de force le sont donc aussi. Mais l’intérieur du Soleil est un gaz turbulent. Les écoulements de ce gaz modifient de façon continue les champs magnétiques à l’intérieur du Soleil et leur extension dans la couronne. Le champ magnétique du Soleil n’est donc pas statique, contrairement à l’aimant ordinaire.

Par conséquent, les structures coronales à grande échelle que nous voyons lors d’une éclipse solaire ou, depuis l’espace, en EUV, ne sont pas stables ! La vue lors d’une éclipse n’est qu’un instantané d’une évolution dynamique. La couronne expulse ces structures lors des spectaculaires éjections de masse, chauffe de façon explosive le gaz et accélère des particules chargées à de hautes énergies lors des éruptions.

La couronne solaire violente: éjections coronales de masse et éruptions

La manifestation la plus spectaculaire de l’activité éruptive solaire sont les éjections coronales de masse (abréviation: CMEs, pour l’Anglais coronal mass éjections). La série de clichés ci-dessus a été prise par le coronographe LASCO à bord de la sonde spatiale Solar and Heliospheric Observatory (SoHO; ESA/NASA). Dans un coronographe, le disque visible brillant du Soleil est occulté, ce qui rend la faible couronne visible comme lors d’une éclipse solaire naturelle.

Le premier cliché montre la couronne avant l’éjection de masse. La structure qui émerge au-dessus du disque d’occultation en bas à droite du cliché est appelée un grand jet (Anglais : streamer). Ces structures nous sont familières dans les images d’éclipses. Sur les clichés suivants, on voit le gaz propulsé, avec le champ magnétique qui le confine, dans la haute couronne. Il va finalement quitter le Soleil et traverser l’Héliosphère. Là encore, le gaz rend la structure magnétique visible. Ce n’est en fait pas le gaz qui est éjecté en premier lieu, mais la structure magnétique coronale. Le champ magnétique entraîne le gaz. Une telle éjection coronale de masse est très différente de celle d’un volcan terrestre, où la matière est expulsée de façon brusque, puis retombe sous l’effet de la pesanteur.

Une éruption (Anglais : flare) se manifeste par l’embrillancement soudain dans différents domaines du spectre électromagnétique. Ces embrillancements sont particulièrement prononcés dans les émissions caractéristiques de la couronne : ultraviolet extrême (EUV), rayons X, ondes radio. Ou même aux rayons gamma, où le Soleil est d’ordinaire invisible pour nos instruments en dehors des périodes d’éruptions. Les trois clichés ci-dessus ont été pris par l’Extreme Ultraviolet Telescope (EIT; longueur d’onde 19,5 nm) à bord de SoHO, le 14 Juillet 2000. Une « région active » brillante est identifiée un peu au-dessus du centre du disque solaire : le cliché du milieu montre qu’elle devient brusquement plus brillante. Cet embrillancement persiste dans le cliché suivant, pris plus d’une heure plus tard. C’est une éruption solaire. Les éruptions et éjections coronales de masse ne sont pas indépendantes. Les coronographes à bord de SoHO ont également observé une éjection de masse avec cette éruption.

Solar energetic particle events

Les points blancs dans le cliché EIT de droite sont les traces de particules de haute énergie, des protons et ions à des énergies de quelques dizaines à plusieurs centaines de MeV qui frappent l’instrument – une indication claire que des particules sont accélérées à de hautes énergies durant cet événement solaire et s’échappent vers l’espace interplanétaire. Ce cliché illustre l’impact de particules énergétiques solaires sur la technologie embarquée dans l’espace.

Des protons à des énergies encore plus élevées ont été détectés lors de cet événement par des moniteurs à neutrons sur la Terre. La figure montre les évolutions temporelles observées par différents moniteurs. Cette figure est extraite de la base de donnée NMDB. L’accélération de ces particules est clairement associée en temps avec l’éruption solaire et l’éjection coronale de masse. Ces événements, où le Soleil accélère des particules chargées à des énergies telles qu’elles puissent être détectées par des moniteurs à neutrons ou d’autres détecteurs de particules à la surface de la Terre sont appelés Ground Level Enhancements en Anglais (GLE). Ce sont ces particules de haute énergie que nous appelons aussi les rayons cosmiques solaires.

Pour visualiser d’autres GLEs, utilisez le NMDB event search tool. Sélectionnez le numéro du GLE et la ou les stations dont vous souhaitez visualiser les observations, et cliquez sur “Submit.”

Comment les éjections de masse et les éruptions sont-elles générées?

Regardons de plus près ce qui se passe dans une région active au cours d’une éruption et une éjection coronale de masse: le satellite TRACE de la the NASA observait, le 14 Juillet 2000, l’éruption en EUV, comme SoHO/EIT, mais avec un champ de vue moindre et une cadence temporelle plus élevée.

Les deux clichés à gauche montrent la phase initiale de l’éruption: (1) un filament sombre, auparavant suspendu au-dessus de la région active brillante (panneau du haut), décolle et est éjecté. (2) Tandis que le filament monte dans la couronne, une partie est toujours visible dans le cliché du panneau du bas. Le filament deviendra une partie de l’éjection coronale de masse.

La région sous-jacente devient brillante, comme on le voit dans le premier cliché à droite (3). Puis un nombre croissant de structures en boucles apparaît, pour disparaître après quelques heures. C’est ce que montre le cliché du bas (4).

Trouvez cette animation et d’autres observations du satellite TRACE à http://trace.lmsal.com/POD/.

La reconnexion magnétique : un processus fondamental des événements éruptifs solaires

On peut se représenter les processus à l’oeuvre pendant cet événement par un simple scénario tel que l’illustre la figure suivante. C’est une coupe du filament. Ce filament est un gaz dense, maintenu contre la pesanteur par le champ magnétique de la couronne.

(a) Des courants électriques s’écoulent dans ce filament, engendrant un champ magnétique autour de la structure, comme le montre la ligne de force circulaire verte dans la figure. Le filament est en même temps entouré de lignes de force ancrées sous la photosphère solaire. Ces lignes de force émergent depuis l’intérieur du Soleil.

(b) Si le champ magnétique du filament, et avec lui la matière confinée, monte dans la couronne, la région où il se trouvait contient moins de matière qu’auparavant. La pression qui y règne est donc inférieure à ses environs. La matière des environs va alors remplir cette région, et avec elle le champ magnétique. Des lignes de force à orientations opposées vont s’approcher dans la région indiquée par le rectangle jaune. A cause du changement brusque du champ magnétique, qui implique des courants électriques intenses, on appelle cette région une nappe de courant (Anglais : current sheet).

(c) Des lignes de force magnétiques peuvent se reconnecter dans la nappe de courant : la ligne de force rouge isolée dans (b) donne alors lieu à deux lignes de force – l’une est proche du filament montant, l’autre fait partie d’une nouvelle boucle au-dessus de ce filament.

(d) Le processus de reconnexion magnétique affecte successivement des lignes de force à des distances croissantes au filament. Lorsque la reconnexion affecte des lignes de force dont un bout est ancré au Soleil, tandis que l’autre se connecte quelque part ailleurs dans le système solaire (ce qui n’est pas montré dans cette figure), le filament peut de détacher du champ magnétique ancré au Soleil. Le filament est alors expulsé vers la haute couronne et l’espace interplanétaire. C’est cette séquence que nous avons vue dans les images ci-dessus de la sonde TRACE: le filament monte et disparaît finalement, alors qu’en dessous de nouvelles boucles magnétiques se forment, se remplissent de gaz chaud et rayonnent pour quelque temps, par exemple en EUV.

Accélération de particules

Quand des champs magnétiques se reconnectent, de l’énergie est convertie en chauffage et à l’accélération de quelques particules à des vitesse et énergie élevées. Cela engendre diverses signatures radiatives à différents endroits, comme le montre le schéma (d). Des particules accélérées pendant le processus de reconnexion peuvent aussi s’échapper dans l’espace interplanétaire.

Mais des particules ne sont pas seulement accélérées dans la région de reconnexion sous le filament. Lorsque le filament est expulsé à une vitesse élevée, il peut engendrer une onde de choc à son front – tout comme un avion dépassant la vitesse du son crée une onde de choc dans l’air que nous percevons comme un son brusque et violent. Dans la couronne solaire, dont le gaz est constitué de particules électriquement chargées, une onde de choc implique des champs électriques qui peuvent accélérer des particules à des énergies élevées.

Nous ne sommes pas sûrs des régions d’accélération, ni du mécanisme, des rayons cosmiques atteignant la Terre après certaines grandes éruptions et éjections coronales de masse. Nous savons toutefois que de tels événements à particules sont toujours accompagnés de fortes éruptions et d’éjections de masse larges et rapides. Des activités intenses de recherche étudient le rôle respectif de la reconnexion et de l‘onde de choc en tant qu’accélérateurs des particules dans la couronne solaire.

Les chercheurs utilisent des outils divers pour élucider l’origine des événements à particules solaires. Ils essaient de développer des modèles aptes à prévoir leurs apparition, intensité maximale et évolution temporelle. Les moniteurs à neutrons sont des instruments essentiels pour la recherche sur les particules les plus énergétiques du Soleil.


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